[Tranche de vie] Ibrahima Diouf, les stigmates d’un engagement

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Le 17 décembre 2013 est une date que le jeune homme n’est pas prêt d’oublier de sa vie. 10 ans après, Ibrahima Diouf garde encore les stigmates de son militantisme en tant qu’étudiant en licence de Physique Chimie de la Faculté des Sciences et Techniques. Une balle à blanc à l’œil gauche et l’étudiant âgé à l’époque de 26 ans voit sa vie défiler sous ses yeux.

Il a suffi d’un instant  précis  pour chambouler le parcours d’une vie. Mais un petit coup d’œil dans le rétroviseur s’impose pour mieux comprendre l’histoire du jeune fatickois. Tout commence en 2013. L’année d’Ibrahima Diouf, leader du syndicalisme estudiantin, a été marquée par des réformes de l’enseignement supérieur. Une décision saluée dans son ensemble par toute la communauté universitaire. Cependant  elle portait atteinte aux acquis sociaux des étudiants avec la suppression de l’octroi automatique d’une bourse après le passage en deuxième année, l’augmentation exorbitante des frais d’inscription, le refus systématique d’octroyer une bourse à un étudiant âgé de plus de 30 ans entre autres. «Mes camarades et moi avions estimé que de telles mesures allaient renforcer la précarité des étudiants et qu’il fallait les retirer», confie Ibrahima Diouf revenant sur le contexte de l’époque.

L’étudiant et ses camarades ont donc défini un plan d’action et y figurent  des fronts  pour manifester leur désaccord. Après avoir constaté que l’autorité ne comptait pas retirer ces mesures qui remettaient en cause les acquis sociaux des étudiants, ils décident d’organiser un mouvement d’humeur le 17 décembre 2013.

Une assemblée générale et un front ont été organisés la matinée de ce funeste jour. L’intervention des forces de l’ordre va coûter l’œil gauche au syndicaliste. «Cette matinée, j’ai payé un lourd tribut pour la défense de la cause estudiantine», se remémore l’étudiant en licence de Physique Chimie de la Faculté des Sciences et Techniques.

Entre interventions et abandon

Ibrahima Diouf est atteint par une balle à blanc à l’œil gauche et son sang coulait à flot. C’est le début de la descente aux enfers pour l’étudiant. Avec l’aide de ses camarades, il a pu atteindre le service médical avant de perdre connaissance. «J’ai été évacué à l’hôpital Principal de Dakar par des ambulanciers qui me croyaient déjà mort », confie-t-il.

L’étudiant va subir trois interventions chirurgicales au service ophtalmologique en moins d’un mois pour la reconstitution de la cavité orbitaire. Mais c’est sans succès. Ibrahima Diouf voyait déjà son avenir hypothéqué par cet incident. Hélas ce n’était que le début d’une longue et pénible épreuve. Au vu de la dégradation de son état de santé, ses camarades syndicaux se mobilisent pour son évacuation à l’étranger. «L’Etat accède à leur revendication et m’évacue à Paris le 31 janvier 2014 », renseigne le jeune homme âgé aujourd’hui de plus d’une trentaine d’années. Il va subir une quatrième opération payée par le gouvernement du Sénégal. Cependant  au bout d’un mois et 20 jours, il met fin à sa prise en charge.  L’étudiant  avoue s’être senti « abandonné » à son sort.

«J’ai subi de nouvelles opérations sans le concours de l’Etat sénégalais», observe le syndicaliste. Cet abandon avait eu des «conséquences fâcheuses» sur sa situation. «Je me suis retrouvé, malade, sans abri, sans ressources et sans papiers dans un pays étranger», narre-t-il.

Touché mais pas coulé

«C’est le comble du supplice, mais il fallait que je me batte pour m’en sortir », a relativisé le trentenaire. Son objectif était d’abord, de soigner convenablement son œil. Ce qui a été atteint grâce à la politique de santé solidaire du gouvernement français. Il voulait ensuite  trouver une université pour continuer ses études. «J’ai été accepté en Master génie des procédés à l’Institut Galilée de l’université Paris 13», informe-t-il. Mais les écueils ne finissent pas pour le sieur qui doit faire face au service de l’immigration. «Il m’avait refusé le titre de séjour pour étude, car j’étais venu en France avec le visa soins médicaux», précise-t-il. Une obligation de quitter le territoire français lui a été délivrée par la préfecture. C’est grâce aux services d’un avocat qui a plaidé sa cause qu’il finit par  obtenir la régularisation de son séjour.

Le jeune homme recommence ses études tout en faisant des petits boulots pour s’entretenir  après un an dans la tourmente et  une santé fragile. Le sieur finit par bénéficier d’une bourse sociale grâce au Service de Gestion des Etudiants Sénégalais à l’Etranger (SGEE) et obtenir un logement

Spirale sans fin

«Aujourd’hui, j’ai obtenu mon diplôme de Master en Génie des Procédés, je suis marié et père d’une fille », révèle le trentenaire. L’actuel professeur de physique chimie dans un établissement public en France semblait enfin voir la lumière au bout du tunnel. Cependant, son œil a encore besoin de soins médicaux. «J’ai  d’ailleurs subi une intervention chirurgicale en juillet 2022 et d’autres sont programmées », a confié le professeur de physique.

Ibrahima Diouf pointe du doigt l’Etat sénégalais. «Je ne peux m’empêcher de penser qu’il n’a pas assumé sa pleine responsabilité dans ce qui m’est arrivé», avoue-t-il. Le père de famille parle même d’un double crime, une tentative d’assassinat, suivie d’une mise en danger délibérée de la vie d’un innocent jeune étudiant syndicaliste. «Cela fera bientôt dix ans que j’ai perdu mon œil, que je subis des opérations chirurgicales sans fin et tout le reste de ma vie il me faudra continuer les soins», dit-il avec amertume.

«Je vivrai le reste de ma vie avec un œil en moins. Cela fait 10 ans que ça dure alors que pour l’Etat du Sénégal, le problème d’Ibrahima Diouf est classé depuis avril 2014», fustige-t-il.

Ibrahima Diouf souhaite des dédommagements pour ses soins à venir et bénéficier d’un soutien.

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