Le Henné Time est en vogue au Sénégal. Cette manière d’enterrer la vie de célibat pour la future mariée soulève des vagues d’indignations. Cette fête destinée à préparer la jeune fille à une nouvelle vie a viré à une séance où les femmes se lancent dans une concurrence de déhanchements sous le roucoulement des « Bongon », un instrument de musique qui produit des sons secs accompagnés par des chants tirés du répertoire de la vulgarité. Les femmes se trémoussent soulevant leur pagne et leur petit pagne laissant transparaître tout y compris les perles. Ce qui devait être une préséance pour le mariage est une séance où tous les excès sont permis. On n’est loin de la vocation originelle de cette pratique traditionnelle. Elle est dévoyée sous l’autel des dépenses supplémentaires supportées par le futur époux.
Le Henné Time sous la nouvelle version est à l’ère du temps. Il a tout de même sa fausse note. La fin d’une vie de célibat de jeunes filles se fête avec des danses salaces, sensuelles. C’est une séance d’exhibition à l’envers de l’originalité de cette cérémonie où les femmes s’emmitouflent dans des habits traditionnels, avec des grandes boucles d’oreille de couleur jaune. C’était un temps de préparer la future mariée. De nos jours, un autre jour s’est levé.
Cette fête, une sorte de préséance du mariage a pris une tournure qui révulse les nostalgiques. De leur mémoire défoulent les images où les femmes vêtues de vêtements traditionnels, épouvantails à la main forment deux colonnes parallèles. Au milieu, la future mariée est choyée comme une reine.
Aujourd’hui, tout a été dévoyé. Tout le monde s’invite. Les batteurs de « Bongo » entrent dans la danse. Ils assurent le spectacle. Parées de vêtements traditionnels et épouvantails à la main, les femmes se rivalisent dans le déhanchement, relevant leur pagne. Elles laissent apparaître les sous-vêtements, les perles, leurs petits pagnes. Le tout sous les cris et les vivats des convives. Ils filment. Ils photographient. Ces scènes frisant l’obscénité sont reprises par des sites d’informations.
Le Henné Time sous la nouvelle version n’enchante pas Anta Ndoye. Bien contraire. Cette Sénégalaise critique cette célébration d’enterrer la vie de célibat. « Les jeunes filles sénégalaises suivent tellement ce qui est à la mode qu’elles en oublient que c’est le mariage qui est le plus important. Tout ce qui devrait être vu en privé est étalé sur la place publique. Nous devons mettre l’accent sur les priorités », s’est exprimée Anta Ndoye.
Elle n’en disconvient pas. Elle s’indigne du dévoiement de cette pratique sous l’influence de l’effritement de la culture de la pudeur.« Le concept serait plus intéressant si les coutumes y étaient vraiment valorisées. Il est difficile de distinguer les ethnies tellement c’est quasiment pareil partout. En célébrant par ignorance, le débordement est inévitable. Si nous célébrions nos « henné time » ou mariages traditionnels dans d’autres cultures conformément à nos ethnies, il n’y aurait point de vulgarité. L’excès est partie intégrante de l’ignorance », note la dame.
Cette dernière et Rokhaya Diop, une autre fille âgée de 25 ans, émettent sur la même longueur d’onde. Rokhaya souhaite que tout soit fêté sous le sceau de la mesure. C’est la démesure qu’elle dénonce. Rokhaya déplore l’exagération notée ces derniers temps dans cette pratique. Rokhaya opte pour sa pérennisation malgré tout.
« Je pense que le gaspillage d’argent et l’exhibitionnisme sexuel n’ont pas leur raison d’être dans la culture du Henné Time. Je ne vois pas l’utilité de dépenser autant d’argent durant la célébration du Henné Time juste pour se faire voir. Il faut penser à l’après mariage. Certes le Henné Time fait bien partie de notre culture, de notre tradition, mais pas d’exagération. Faisons-le dans la sobriété comme cela se faisait avant », préconise Rokhaya Diop.
Elle compte célébrer cette pratique le moment venu mais autrement. Tout doit être enrobé dans le voile de pudeur de dignité, car la femme ne doit pas laisser son corps dehors, à la vue de tous les regards.
« Il y a un abus dans la célébration du Henné Time au Sénégal. Cela n’honore la femme. Je compte bien célébrer le Henné Time mais dans la sobriété et en respectant nos valeurs traditionnelles. Pour moi, le Henné Time est une fierté de montrer qu’on appartient à telle ou telle ethnie tout en gardant ce charme propre aux habits et à la mise en en beauté d’antan », rappelle Rokhaya Diop.
Une fête inutile
Matar Sall et Monsieur Diallo ont un autre regard, un autre point de vue : c’est un moment de gaspillage d’argent qui n’a pas de sens. « Si je me marie et que ma femme fait cela c’est la fin. Le processus de mariage sera interrompu. Je n’aime pas les foutaises. Je ne vois même pas l’utilité du Henné Time. Ça n’a aucun sens. C’est juste un gaspillage d’argent déguisé à la veille du mariage. Les jeunes filles conscientes et nanties ne s’adonnent pas à cette pratique. Le plus souvent, ce sont les pauvres qui s’adonnent à ces genres de gaspillages et se retrouvent avec des difficultés tout juste après le mariage », pense Matar Sall. Les filles doivent épargner leur époux de ces dépenses à défaut de fêter Henné Time dans la sobriété. « Mais dépenser la veille du mariage, le jour du mariage et vous voulez que les hommes gèrent toutes ces dépenses. C’est exagéré. Si ça continue, les hommes ne vont pas s’engager dans un mariage car ce sont des dépenses supplémentaires. C’est un frein pour les pauvres. Il faut éliminer ces genres de pratiques dans la société », fulmine Matar.
Des billets de banque pour des gestes érotiques
Marié depuis bientôt 8 ans et père de deux enfants, il indexe les « bongomans », comme étant les principaux auteurs de ces dérives. « Tout ce qui se passe dans les Hennés Time est de la faute des ‘’Bongomans’’. Ils sont les principaux initiateurs de cette débauche. Pendant la cérémonie, ils disent des choses tellement vulgaires devant les personnes âgées. Comment peut-on demander à une fille qui se trouve devant ses parents à qui appartient ton sexe et sans pudeur elle répond en désignant son mari », fustige Monsieur Diallo. Tous les excès sont permis. La pudeur n’a plus de place dans cet espace. On ne se retient plus surtout lorsque que l’on distribue des billets de banque pour récompenser les gestes et danses érotiques. « Les invités ont tendance à chercher à se démarquer des autres et font du « battré » (jeter des billets d’argent sur les griots) inutilement. C’est un phénomène inquiétant que je déplore heureusement que je me suis marié avant que ça n’arrive », charge M. Diallo.
Si cela ne tenait qu’à M Diallo, on pouvait bien s’en passer. D’autant plus que cette fête n’est pas une recommandation d’une religion révélée. « L’islam accepte tout ce qui se fait durant les festivités de mariage. Mais il faut rappeler qu’il y a des limites. Si on se laisse emporter par ces festivités jusqu’à exagérer, ou mettre de côté les règles religieuses, c’est ‘’Haram’’. Et il y a un constat qui a été fait dans la manière de célébrer le Henné Time actuellement au Sénégal. Durant cette célébration, on voit des femmes qui exposent leurs parties intimes, avec des perles de rein, des linges de corps et des termes tellement vulgaires », constate Diamilatou Diakhaté, animatrice d’une émission religieuse diffusée par Seneweb.
Pour elle, rien ne peut justifier qu’une femme montre son corps à fortiori, ses parties intimes.
L’usage du henné pour en faire des motifs décoratifs sur la paume, le revers de la main, sur la plante des pieds ou encore sur les lèvres est ancré dans la culture de plusieurs sociétés. Beaucoup de gardiens de la tradition confèrent au henné, le pouvoir de protection, d’apporter de la chance et du bonheur aux futurs mariés. C’était dans le passé. Aujourd’hui, le Henné Time est sous le feu de toutes les critiques.